De l’aide qui tourne à la tragique amputation des membres
Le matin du jeudi 13
février 2020, monsieur Samuel Mokako, un jeune agriculteur de 25 ans résidant momentanément
chez sa tante paternelle à Bolikombo, un village situé à une trentaine de
kilomètres à l’Est de Bumba, sur la route qui mène vers Yamongili le chef-lieu
du secteur de Loeka dans le territoire de Bumba, a failli perdre sa vie pour s’être
mis à aider son cousin Wilo Molengi à couper des gros arbres dans le cadre des
activités champêtres de ce dernier.
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Samuel Mokako après sa deuxième intervention chirurgicale |
Samuel Mokako avait naguère
quitté ses parents chez qui il habitait dans le territoire de Businga au sud de
Gbadolite et il était venu vivre chez sa tante à Bumba, avant d’aller à
Bolikombo visiter une autre tante. C’est donc au village Bolikombo que
l’incident malheureux dont il s’agit ici s’est déroulé pendant qu’il aidait son
cousin dans son champ.
Pouvait-on vraiment
appeler cela de l’aide ? Peut-être oui, ou peut-être non, cela dépend de celui
qui apprécie ; mais l’on sait que l’infortuné Samuel avait la dette de
1500 Francs congolais (équivalent à 0,75 dollar US) de son cousin Wilo qu’il
devrait en quelque sorte acquitter ; ainsi fallait-il qu’il vienne travailler pour
s’acquitter de sa dette tel qu’ils ont convenu de venir couper les bois dans le
champ de Wilo, où celui-ci devrait planter du maïs, de manioc, etc., au début
de la saison de pluie de l’année 2020.
C’est ce qui s’est
passé ce matin-là. Samuel Mokako est venu s’acquitter de sa dette de 1500 FC ou
de sa tâche comme convenu avec son cousin Wilo Molengi, de venir couper les
gros arbres dans le champ de ce dernier, aux environs du village Bolikombo. Il s’est donc mis à couper le tronc d’un gros arbre,
à une certaine hauteur du sol, car il préférait pendant cette exercice grimper
à l’arbre, à une certaine hauteur du sol, pour couper facilement l’arbre dans
un endroit qui ne ferait pas d’obstacle quant à ce.
Lorsqu’il sentit que
l’arbre allait tomber, il était obligé de sauter le premier à terre avant que
l’arbre ne s’écroule. Et lorsqu’il voyait que l’arbre tardait à s’écrouler, il
essayait de regrimper à l’arbre pour tenter quelques coups supplémentaires de
machette ou de hache à l’endroit précis de la coupe, et de sauter de nouveau à
terre avant que l’arbre ne s’écroule. Il a ainsi tenté à trois reprises. C’est
à la troisième tentative que l’arbre s’écroula enfin, et le tronc de l’arbre
tomba malheureusement sur ses pattes, broya le genou gauche et blessa gravement
la partie inférieure de la jambe droite, entrainant ipso facto une hémorragie importante.
Son cousin et quelques
autres campagnards qui se retrouvaient dans les parages tentèrent les premiers
secours, ceux consistant à extraire le blessé du dessous du tronc de l’arbre
tombé, de lier ensemble les extrémités de ses chairs éparpillées dans les
plaies et de couvrir celles-ci avec des linges de fortune ou des habits de
l’infortuné pour contenir tant bien que mal le flot de sang qui jaillissait
pitoyablement de ses blessures et de l’évacuer immédiatement vers le village.
De là, on l’achemina
en moto jusqu’à l’Hôpital général de Bumba, distant de près de 30 km, où il
faillit mourir car aucun soin ne lui fut administré pendant les quelques
instants y passés, hormis la transfusion sanguine effectuée par un des médecins
du lieu, un toubib en calvitie, avait-on signalé, car le malheureux perdait
beaucoup de sang.
Les médecins de
l’Hôpital général ont refusé de soigner l’agriculteur parce que celui-ci n’avait
sur lui qu’une modique somme de 25.000 FC (l’équivalent de 12.5 $),
l’argent de sa pauvre femme Irène Sidonie Matunga, qui, toute affaire cessante,
avait tout laissé pour accompagner son mari à l’hôpital. Les médecins jugeaient
le montant beaucoup trop insignifiant, et en revanche exigeaient au préalable
le paiement d’une somme de 300.000 FC (l’équivalent de 150 $) avant d’entamer
une quelconque prise en charge médicale !
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Samuel Mokako et sa femme Irène
Sidonie Matunga, après la deuxième opération |
Cette décision restant
ainsi, telle que l’ont formulée les médecins malgré les supplications d’Irène
Sidonie Matunga qui leur proposa même en plus de ladite modique somme de 25.000
FC, de placer en gage son appareil de téléphone portable et un pagne d’habit
neuf. Les médecins de l’Hôpital général de Bumba lui opposèrent un farouche
refus impitoyable ; le malheureux cultivateur passa la nuit à l’Hôpital
général de Bumba sans qu’aucun médecin ni infirmier n’intervienne pour
lui !
La preuve en est que
les plaies restèrent ainsi à l’Hôpital général telles qu’elles y étaient
arrivées de la forêt, bandées avec des linges de fortune non stérilisés, autour
desquels on avait enroulé des lianes de forêt ou de chikwangue jusqu’au
lendemain, sans qu’aucun personnel soignant ne s’en occupe !
Le lendemain matin, c’est-à-dire
le vendredi 14 février 2020, la situation du jeune homme allait de mal en pis.
Perte de sang et de la force corporelle, les plaies en putréfaction devenant de
plus en plus nauséabondes et attirant des mouches de tous bords…
Affolée par l’ampleur
de l’évènement, la pauvre dame continua pour la énième fois de supplier les
médecins de venir soigner son mari, et décida après consultation avec quelques
membres de famille de Mokako se trouvant à l’hôpital, de quitter l’Hôpital
général de Bumba pour se rendre à n’importe quel autre centre de santé de la
cité de Bumba. Le choix porta sur le Centre de santé CNCA (des protestants) du
Quartier Mobutu où ils se dirigèrent aussitôt et furent accueillis par
l’Infirmier A0 Nguma qui les orienta sans tergiversation vers l’Hôpital Notre
Dame du Révérend Père Carlos Rommel que gèrent les Religieuses de la
Congrégation de la Doctrine chrétienne.
C’était déjà vers 15
heures que le cortège du malade arriva à l’Hôpital Notre Dame, l’heure à
laquelle certains services ferment (tels que le laboratoire, le bloc
opératoire, les radios, etc., sauf en cas d’urgence) pour laisser la place au
dispensaire et au service de permanence en vue des soins ambulatoires ou des malades
hospitalisées…
Le service d’accueil (des
sentinelles) les orienta immédiatement vers le bloc opératoire où deux
infirmiers, Papy Mole et Norbert Akpoma trainaient encore, en train de remettre
tout à l’ordre avant la fermeture. Ceux-ci les reçurent et étendirent le
patient sur le lit de pansement et se mirent immédiatement à délier les lianes
et à enlever lesdits linges de fortune imbibés de sang du malheureux. On y
voyait tomber par terre des
morceaux de chaires humaines au niveaux des plaies béantes après les avoir
mises à nu.
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la plaie au genou de la jambe gauche |
C’est alors qu’on fit
venir en urgence le Docteur Trésor Likenge, le Médecin directeur de l’Hôpital
Notre Dame de Bumba qui, peu après son arrivée, et au bout d’un bref diagnostic
de la situation, entama les préparatifs d’amputation des pattes du patient, vu
l’état de putréfaction dans lequel se trouvaient les plaies. Il faudrait en
plus de la préparation chirurgicale de la routine, se procurer une scie à
métaux qu’on devrait nettoyer et stériliser, des lianes en caoutchouc
communément appelées « lances » pour maintenir en forme la chair de
la jambe, etc.
Le patient consentit à
regret à cette instruction médicale consistant à amputer ses jambes, mais il la
restreignit pour une seule jambe, la gauche, celle qui a subi un degré beaucoup
plus haut d’endommagement, et que par contre, sa jambe droite devrait lui être épargnée,
disait-il, afin qu’elle soit soumise au traitement traditionnel.
Ce qui lui fut concédé
à cet instant. Le docteur Trésor et son équipe se sont mis au travail, et
l’opération dura de 22 heures jusque vers 2 heures du matin du samedi 15
février 2020. La jambe gauche du patient fut donc amputée légèrement au-dessus
du genou, entre celui-ci et le bassin.
Les soins
traditionnels pour sa seconde jambe, la jambe droite, n’eurent guère de succès
escompté car la détérioration ne faisait que s’amplifier. Pour épargner Samuel
de tout danger possible qui résulterait de la détérioration de ladite jambe,
celle-ci fut également amputée, mais légèrement en dessous du genou, entre
celui-ci et le pied, le mercredi 19 février 2020 !
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Le pied gauche |
Au bout d’un mois de
lit, vers le mois de mars, Monsieur Samuel Mokako s’est rétabli et a bénéficié
d’une chaise roulante offerte par l’Hôpital Notre Dame de Bumba, sur laquelle
il se déplaçait. C’est à partir de mois de mai 2020 qu’il s’est mis à se
déplacer seul toujours sur sa chaise roulante et à faire certaines activités.
Il vendait tantôt des croquettes faites de farine de blé que produisait la Rde
Sœur Régine Amboyo, la gestionnaire de l’Hôpital Notre Dame, tantôt des unités prépayés
pour la communication par téléphones. Les recettes générées l’aidaient ainsi à
se fournir de quoi se nourrir, lui et sa femme, pendant sa convalescence et son
long séjour à l’Hôpital Notre Dame, tant ses tantes l’ont abandonné, et même son
cousin Wilo Molengi, celui pour qui il a failli mourir en travaillant durement
dans le champ.
Son père et sa mère à
Businga ont aussi appris la nouvelle d’hospitalisation de leur fils, mais sans
qu’ils interviennent, ni pour payer les frais d’hospitalisation, ni même pour
venir voir leur fils dans cet état d’amputation des membres. Son père, trop catégorique,
menaçait même son épouse de ne pas venir rendre visite à son fils à Bumba sous
peine de divorce ! Il s’enflammait contre sa sœur de Bumba pour n’avoir
pas interdit à son fils cette « errance dans la campagne », et exige que son
enfant lui soit restitué avec toutes ses jambes !
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Le pied droit avant l'amputation |
Le dimanche 14 février
2021, un an après sa première opération chirurgicale, Samuel s’est rendu à
l’église Notre Dame, au cours d’une messe dite vers 5 heures et demie par le
Révérend Père Carlos Rommel, pour remercier Dieu ainsi qu’à sa suite, le
médecin, les infirmiers ainsi que toute personne et autres amis qui, de près ou
de loin, l’ont aidé à survivre jusqu’à ce jour, surtout pour la prise en charge
de l’Hôpital Notre Dame, pour
la grâce reçue de Dieu ; lui qui, étant moribond, n’a pu survivre jusqu’à
ce jour que par la miséricorde divine !
Son oraison, lorsqu’il
a reçu le micro, assis sur sa chaise roulante devant l’autel, a ému plus d’une
personne à la messe et présageait certes une deuxième intervention chirurgicale
qu’il dû subir le lendemain, toujours à l’Hôpital Notre Dame, notamment pour la
hernie et le réajustement de sa plaie au niveau de l’extrémité du moignon de la
jambe gauche dont l’os avait surgi de la chair.
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De gauche à droite: Irène Sidonie Matunga, Samuel Mokako et la sentinnelle de l'Hôpital Notre Dame |
Notons enfin, comme
l’a reconnu Mr Mokako lui-même à l’église, que sa prise en charge médicale et hospitalière
était entièrement entre les mains de l’Hôpital Notre Dame, c’est-à-dire
l’opération chirurgicale, les soins médicaux, les médicaments,
l’hospitalisation, la restauration pour lui-même et pour sa femme, et même les
soins de sa femme qui est maintenant grosse, tout cela était à la charge de
l’Hôpital Notre Dame, à travers sa gestionnaire la Révérende Sœur Régine Amboyo
à qui nous adressons nos vives félicitations pour avoir pensé avant tout à la
santé de ce jeune homme, inconnu d’elle, mais une créature de Dieu qui,
dépourvu de tout a failli mourir pour des travaux champêtres !
Ainsi, lançons-nous un
appel pathétique à toute personne de bonne volonté qui nous lit à travers ce
site de bien vouloir penser à ce monsieur qui va bientôt sortir de l’hôpital,
qu’il parvienne quand même à s’intégrer facilement à la vie quotidienne,
c’est-à-dire, sa locomotion avec un vélo-tricycle, son logement à travers la
cité de Bumba, et une petite activité qui pourrait lui procurer un minimum du
bien-être.
Antonio Lisuma