L’interview accordée par le Docteur
José Mangungu,
Professeur à l’ISP Bumba
Revenu à Bumba, sa terre d'origine, après un long séjour européen, l'éminent Professeur Docteur José Mangungu Ekombe nous livre ses impressions après un bout moment passé à Bumba où il enseigne à l'Institut supérieur pédagogique de Bumba:
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Le Professeur Docteur José Mangungu Ekombe |
1) Pouvez-vous,
monsieur le professeur, nous parler de vous-même, la naissance, les études
primaires, secondaires et universitaires ?
Volontiers. Je suis
originaire de Bandala, à quelques pas de la ville de Bumba.
Je suis né à Basoko
vers la fin des années 1940, car mes parents, Adrien Mangungu et Eulalie Ebende
vivaient à Lokutu, une localité au bord du fleuve Congo, à la rive opposée du
territoire de Basoko, où était implantée la compagnie agro-industrielle des Huileries du Congo-Belge (ex PLZ,
aujourd’hui PHC), dans laquelle travaillait mon père.
Je suis donc le cadet d’une
famille de quatre enfants dont trois filles aînées. Deux de mes sœurs sont
encore en vie.
Mes études primaires, je
les ai faites dans différentes écoles, vu l’insécurité politique qui régnait au
Congo, aux années de l’Indépendance : j’ai d’abord commencé à Basoko, puis
à Bumba, à l’école primaire Notre Dame (actuelle
Ngito) ; ensuite, vers 1962 ou 1963 j’ai intégré le groupe scolaire
d’Ebonda (ex Alberta) et y suis resté jusqu’au cycle d’orientation, où j’ai
même bénéficié des enseignements de Français du tout jeune prêtre qui venait
d’arriver, le Révérend Père Carlos Rommel. C’est alors que je suis allé m’inscrire
aux Humanités sociales de Gombe à Kinshasa, à Rizes (ou quelque chose comme
ça), l’école qui se situait au même bâtiment où se trouve actuellement la
Faculté des Sciences de l’Information (entre l’INSS et l’Hôpital Maman Yemo),
jusqu’à l’obtention de diplôme d’Etat en 1968.
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L'école primaire Ngito (ex Notre Dame) de Bumba |
Je
me suis aussitôt rendu à Shabunda au Kivu (actuelle province de Sud-Kivu) pour travailler
pendant deux ans comme enseignant à l’Athénée de Shabunda, où j’enseignais les cours
de Français, de géographie et d’histoire aux élèves du premier cycle de
secondaire, avant d’aller m’inscrire à l’Institut supérieur pédagogique de
Bukavu, l’un de meilleurs ISP du Zaïre, et j’y ai évolué jusqu’à la licence,
après laquelle je fus retenu comme Assistant, et en même temps nommé Directeur-Adjoint
de l‘EDAP (l’école d’application) de l’ISP Bukavu en 1975.
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Ecole primaire des garçons à Ebonda |
2) Vous
avez ensuite quitté le Congo pour vous rendre en Europe ?
Oui.
Etant Assistant à l’ISP Bukavu, et vu la prouesse de ma prestation, j’ai eu
cette opportunité de bénéficier des titres de voyage d’études.
C’est
en effet l’ISP Bukavu qui m’avait envoyé en Europe, pour soutenir ma thèse de
doctorat en géographie, et revenir au pays selon les termes de contrat qui avaient
été signés entre le Zaïre, à l’époque, et la France, lequel contrat stipulait
de remplacer les enseignants Français qui y donnaient cours. C’est dans ce
cadre-là que suis allé en Europe, en France, plus précisément à Bordeaux vers la
fin de l’année 1979. J’ai donc réussi à soutenir ma thèse de doctorat en
géographie, plus spécialement axé sur le développement, à l’Université de
Bordeaux II en 1981. Il a fallu donc que je revienne ensuite au Zaïre,
mais je suis resté en France dans l’attente du billet-retour puisque selon les
accords conclus à l’époque entre le Zaïre et la France, la France payait le
billet-aller, et le Zaïre devrait se charger du billet-retour ; mais,
malheureusement après les études, ce billet retour je l’ai attendu pendant des
années…
Cependant,
J’ai réussi pendant mon séjour en France et ensuite en Belgique à animer des
conférences, à produire certaines émissions radiophoniques dans le cadre du
journalisme, à diriger comme Berger le groupe de prière œcuménique, et à écrire
des livres dont les plus importants sont : 1°/ Conquérir la terre
Promise ?(l’an 2000), 2°/ Nouvelle mesure sur les sociétés d’Etat, espoir
d’une réelle démocratie ? (2008), 3°/Quelle prière pour le Congo (2013),
4°/La prière charismatique (2013).
3) Pourquoi
avez-vous quitté l’Europe où vous étiez déjà installé et vous êtes revenu en
RDC et plus précisément à Bumba pour travailler ?
C’est
pour préparer mes remplaçants dans tout le domaine de vie ; que ce soit à
l’enseignement sur plusieurs plans, comme écrivain, comme enseignant, comme
conférencier, peut-être aussi comme tout simple citoyen ou comme chrétien, donc
j’aimerai que dans chaque domaine, qu’il y ait des gens qui puissent peut-être
avoir le petit éclairage de ma part, si
je peux leur apporter pour faire
mieux, pour se développer. C’est là ma contribution dans le domaine de
l’éducation ou de la formation des cadres de demain, dans l’édification d’un
Etat fort, digne et développé, pour un avenir meilleur.
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Le bâtiment de l'ISP Bumba |
4) Ces
remplaçants, s’agit-il des membres de votre famille ?
Mais
non, il s’agit bien évidemment des jeunes intellectuels, de tout jeune
intellectuel, c’est-à-dire toute personne qui soit en contact avec moi, qui puisse
puiser quelque chose de ma part ; comme je suis maintenant professeur, je
souhaiterai que je puisse former les futurs professeurs d’université ; si
un jour j’occupe un autre poste de responsabilité, ce serait non pas pour
m’éterniser à ce poste, mais c’est pour préparer ceux qui devraient me
remplacer à ce poste-là, ceux qui devraient succéder à moi, et ce, dans tous
les domaines. Si par exemple, dans le domaine de la littérature, il y a
quelqu’un qui veut m’imiter à écrire des livres, ou pour animer des
conférences, etc., je suis disposé à l’aider, à l’encadrer…
5) Etes-vous
revenu en RDC et plus précisément à Bumba uniquement pour travailler à l’ISP
Bumba ?
J’ai
découvert pendant mon séjour européen et au cours des conférences que j’ ai tenues
à Bordeaux que les congolais ne s’intéressent pas vraiment au domaine du
savoir, si on les comparait aux européens et à une certaine mesure aux autres
africains ; mais ils s’intéressent beaucoup plus à des fêtes ou à des
démonstrations de danses et consorts… Et si on considérait les congolais eux-mêmes,
les Bangala occupent la dernière
position, comparativement aux Baluba qui sont extrêmement curieux du savoir,
suivis des Bakongo et d’autres groupes sociaux congolais… dont la proportion
dépasse de loin les Bangala…
C’est
dans cette optique que j’ai préféré quitter l’Europe et revenir ici à Bumba, à
ma source Bangala pour secouer
l’arbre à la source, afin que je contribue tant soit peu à l’édification d’une
bonne éducation des jeunes bangala, à la formation des chercheurs, ne serait-ce
qu’un noyau, lequel perpétuera notre œuvre.
Certes,
c’est un travail de longue haleine, mais il faut y tenir, et continuer à donner
le goût du savoir à nos compatriotes Bangala,
de les former et les amener à la culture de la lecture des livres, à la
recherche scientifique, bref de leur inculquer le goût des sciences.
6) Quelle
est la valeur des Institutions supérieures et universitaires trouvées ici à Bumba ?
À
mon humble avis, ces Instituts n’ont surtout comme objectif que celui de
délivrer des diplômes aux étudiants plutôt que de leur inculquer du savoir ou
de la formation. Les étudiants qui y sont inscrits ne viennent que pour avoir
les papiers qui s’appellent les diplômes. Si vous ne leur donner pas, vous aurez
des problèmes avec eux ! Ils ne viennent chercher que le diplôme, pas la
formation.
Que
pensez-vous d’un auditoire où, presque tous les étudiants, les forts, si
minoritaires soient-ils et les faibles, si nombreux soient-ils, parviennent
presque tous à réussir à la fin de l’année académique ? On conclurait
qu’on ne s’est préoccupé qu’à leur délivrer le diplôme, peu importent les tests
et évaluations effectués.
Les
dirigeants de ces institutions devraient plutôt veiller à appliquer la rigueur
scientifique, donc privilégier le savoir afin de produire la qualité, c’est-à-dire
se préoccuper davantage à la formation des jeunes pour qu’au finish, le gradué
soit vraiment un gradué digne de ce nom, que l’ingénieur soit digne de ce nom, que
le licencié le soit vraiment, etc., peu importe le nombre de réussite.
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"Je suis revenu à Bumba pour préparer mes remplaçants..." |
7) Et
quel est le niveau intellectuel des étudiants dans ces Institutions
supérieures et universitaires ?
Il
est médiocre. En parcourant les papiers d’examen de ces étudiants, l’on se coupe
le souffle et l’on se demande comment ceux-ci sont parvenus jusqu’à
l’université ? Comment quelqu’un qui ne sait pas formuler correctement des
phrases peut-il se retrouver à ce niveau d’études supérieures ?
Et
j’ai dès lors compris qu’il faut une prise de conscience générale et à tous les
niveaux de l’enseignement en RDC, en commençant bien sûr aux écoles primaires
et secondaires, pour privilégier la qualité de l’éducation. Si nos enfants ont
une base éducationnelle solide au niveau du primaire et du secondaire, alors on
pourrait espérer récolter de bons résultats aux universités.
J’estime enfin pour ma part que tout le monde
a sa part de responsabilité dans la réussite d’une bonne éducation dans notre
pays : les enseignants, les parents, les élèves et le gouvernement
congolais. Chacun dans son domaine doit changer pour le mieux : les
parents doivent scolariser leurs enfants et leur fournir matériels et
équipements nécessaires pour mieux étudier ; les enfants, filles tout
comme garçons, doivent avoir l’amour de l’étude et faire davantage des devoirs
ou des travaux personnels. Ils ne
doivent jamais fuir les cours. Les
enseignants, quant à eux, doivent se donner corps et âme au service d’une
éducation saine, et veiller à terminer leurs programmes scolaires ; le
gouvernement doit équitablement payer les enseignants pour réussir l’éducation
en RDC…
Propos recueillis par Antonio Lisuma